Ma rencontre avec ces chants non ordinaires
*Par Eva Kreikenbaum
Qu’est-ce que c’est l’acte de chanter, et jusqu’où peut-il nous emmener ?
Avant de donner quelques réponses possibles à ces questions, je vais d’abord parler de ce que cet acte n’est pas, et des façons dont cet acte de chanter ces chants non ordinaires inverse radicalement nos perspectives habituelles – perspectives signifiant les façons que nous avons de percevoir le monde entier ainsi que nous-mêmes englobés là-dedans. Ces perspectives habituelles sont tellement « réelles » pour nous qu’on ne sait même pas comment les mettre en question, comment les voir pour ce qu’elles sont : des manières de percevoir, et non pas des réalités ultimes.
Quelles sont donc ces perspectives dans lesquelles la plupart des personnes se trouve enfermées une grande partie de leur vie, si ce n’est la totalité de leur vie ?
Je voudrais les appeler les perspectives de l’introjectionnisme, du projectionnisme et du réductionnisme – et je vais maintenant vous expliquer ce que cela signifie.[1] C’est comme si on vivait, personne ne sait pourquoi, dans deux mondes séparés: le monde « extérieur » des objets matériels mesurables, qui confinent aux lois de la physique classique, et le monde « intérieur » de la « psyché » où sont situés tous les autres phénomènes (un silence par example) qui ne trouvent pas leur place dans ce monde réduit aux objets extérieurs – ces phénomènes, on les projette donc dans un monde intérieur, enfermé en nous en quelque sorte.
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Ma
*Par Pablo Jimenez
Le travail de Robart valorise l’exploration de la danse et du chant comme ouverture sur une vision plus vaste, de l’humain et de la créativité. Son approche de la forme, dans ces deux disciplines, élargit l’expérience du corps bien au-delà des points de vue culturels hérités qui eux le considèrent comme un outil à la disposition de l’esprit, destiné à produire des schémas de mouvements. Dans le contexte de sa recherche, le corps est une entité de relation, une interface qui relie notre conscience au monde extérieur – ce que perçoivent les sens – ainsi qu’au monde intérieur, subjectif – ce que nous ressentons dans notre corps et notre psyché. Dans la recherche de Robart, le corps est une porte ouverte sur le présent, le passé et l’avenir, sur tous les êtres vivants, sur tous les aspects de l’être humain, des plus banals au plus sacrés. Et la forme, articulée en tant que danse ou chant, est l’expression de la dynamique entre les impulsions de la conscience créatrice du sujet et les réponses qu’il donne à ces mêmes impulsions. Robart nomme élan les impulsions de la conscience créatrice. Pour elle, l’élan n’est pas seulement de l’ordre physique ou kinesthésique. Sa source est dans le cœur. L’élan est ferveur et volonté d’aller au-delà de notre condition humaine limitée, vers la liberté - il est propulsion vers l’Absolu. La danse et le chant sont simultanément appel et réponse à cet appel. L’appel représente un besoin inné de dépasser nos limites et de réaliser notre nature transcendantale. La réponse s'exprime à travers les formes éphémères que notre corps est susceptible de manifester à travers le chant et la danse.
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Oïda
*Par Laura Casinelli
Il existe un mot dans le grec ancien:
Oïda.
En général on le traduit par «je sais parce que j’ai vu».
Il s’agit du parfait, c’est-à-dire le temps grec qui indique une action achevée, dont les effets perdurent au présent.
La racine de Oïda est indo-européenne[1] :
vid (veid, void)[2]
(à la fois voir et connaissance).
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Circularité rythmique et unité organique dans le chant de Maud Robart
*Par Angelo Tripodo
Angelo Tripodo, à partir de votre expérience d’artiste, de percussionniste et de pédagogue, que voyez-vous d’essentiel dans l’approche du chant rituel afro-haïtien introduite par Maud Robart et en quoi cela donne t-il une signification particulière à son travail artistique et pédagogique dans le contexte de la culture moderne ?
Maud Robart, à travers son approche du chant traditionnel, donne à ses élèves la possibilité de percevoir le rapport entre le rythme et la mélodie, en y réintégrant l’unité organique dans la dimension spatio-temporelle de l’expérience. Je considère comme essentiel dans cette approche, l’opportunité qu’elle offre d’expérimenter que la séparation entre le rythme et la mélodie, dans la conception musicale de l’Occident, est artificielle.
Dans la culture courante, en effet, le rythme est entendu comme un balayage en ligne de pulsations régulières dans le temps.
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L’ Odyssée Salutation
Genèse d’un instrument
*Par Cristina Baruffi
L'instrument donne de l’effectivité à des intentions, des sentiments, valeurs, et actes de reliance[1]. Il impose rigueur et précision dans l'approche. Sublimant la vie sensorielle, affective et l’énergie psychique, il crée les conditions propices à l'exploration d'expériences singulières. Tout culte sain, toute pratique ou recherche en quête de réalités humaines profondes nécessitent des instruments pour communiquer avec justesse ce qu'ils sont et faire émerger ce qui transcende les générations et les cultures.
- Maud Robart
Ainsi la notion d'instrument – centrale dans la méthodologie de recherche de Maud Robart – soutient une vision de la créativité qui prend corps dans des chants, danses, mouvements, extraits à cette fin directement de la liturgie vaudou afro-haïtienne. Une recherche qui s'accomplit aujourd'hui dans un contexte laïque, en dehors d'Haïti et dans laquelle depuis plus de vingt ans, je choisis de m’engager.
Ces instruments venus de loin représentaient pour moi une sorte de legs vivant de l'Afrique ancestrale que je découvrais à la faveur de la pratique. L'effet des chants sur moi dans l'ici et le maintenant a toujours été si prégnant, que je ne ressentais aucun besoin de questionner leur histoire. Je tenais pour acquis l'idée commode qu'ils n'étaient pas sujets à changement. Mais des évènements atypiques, survenus en cours d'exploration pratique avec Maud Robart ont mis en lumière pour moi la capacité singulière d'évolution spontanée de ces éléments, évolution dont je peux aujourd'hui témoigner. Le corpus d'outils composé avant tout de techniques rituelles séculaires, codifiées, favorise paradoxalement l’émergence d'instruments nouveaux, source manifeste de surprises, dans le dispositif. Comment se représenter ou expliquer, dans le contexte de cette exploration, ce phénomène d'émergence ? S’agit-il d’évènements accidentels ? S'agit-il d'innovation, de métissage culturel, de rupture avec la tradition ?
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