Ma rencontre avec ces chants non ordinaires
Qu’est-ce que c’est l’acte de chanter, et jusqu’où peut-il nous emmener ?
Avant de donner quelques réponses possibles à ces questions, je vais d’abord parler de ce que cet acte n’est pas, et des façons dont cet acte de chanter ces chants non ordinaires inverse radicalement nos perspectives habituelles – perspectives signifiant les façons que nous avons de percevoir le monde entier ainsi que nous-mêmes englobés là-dedans. Ces perspectives habituelles sont tellement « réelles » pour nous qu’on ne sait même pas comment les mettre en question, comment les voir pour ce qu’elles sont : des manières de percevoir, et non pas des réalités ultimes.
Quelles sont donc ces perspectives dans lesquelles la plupart des personnes se trouve enfermées une grande partie de leur vie, si ce n’est la totalité de leur vie ?
Je voudrais les appeler les perspectives de l’introjectionnisme, du projectionnisme et du réductionnisme – et je vais maintenant vous expliquer ce que cela signifie.[1] C’est comme si on vivait, personne ne sait pourquoi, dans deux mondes séparés: le monde « extérieur » des objets matériels mesurables, qui confinent aux lois de la physique classique, et le monde « intérieur » de la « psyché » où sont situés tous les autres phénomènes (un silence par example) qui ne trouvent pas leur place dans ce monde réduit aux objets extérieurs – ces phénomènes, on les projette donc dans un monde intérieur, enfermé en nous en quelque sorte.
Dans un sens très précis, on pourrait parler des phénomènes, des situations, des atmosphères comme étant des expériences originellement subjectives. Ces expériences subjectives, en les appelant « émotions », « états intérieurs », « phénomènes psychiques », alors, on les introjette en nous; dans ce cas, leur subjectivité est minorée, suspectée, et sentimentalisée. Elle est prise pour un égarement sans aucun potentiel de vérité.
Selon les perspectives de l’introjectionnisme, du projectionnisme et du réductionnisme, on se trouve alors dans un monde extérieur vidé de toutes ces qualités de subjectivité, dans un monde d’une substance radicalement différente que le monde intérieur. En conséquence, les choses du monde extérieur nous semblent mortes, elles ne peuvent rien sentir.[2] Peut-être qu’elles sont animées par nos « projections », mais elles n’ont aucune intériorité, aucune « psyché ». En soi, au-delà de ce qu’on projette, ce monde extérieur n’a pas de subjectivité, pas d’intériorité, pas de profondeur, pas de vie propre, pas d’âme.
De le voir autrement est considéré comme « pensée magique ».[3]
Tout ce qu’on a dit jusqu’à ce point est important pour mettre en question cette vision clivante du monde, et de nous-mêmes, et pour commencer à voir les conséquences d’ une telle perspective.
Ici, je ne vais pas analyser en détail comment une telle perspective reflète une compréhension limitée de la science, ni analyser comment on peut savoir quoi que ce soit à travers les méthodes de la science – ni comment cette perspective reflète une compréhension limitée de l’épistémologie scientifique, c’est-à-dire la question du comment on peut savoir quoi que ce soit à travers les méthodes de la science. Et je ne vais pas non plus analyser à quel point il s’agit d’une mauvaise compréhension des résultats de ses expérimentations quand elles sont prises pour des réalités « objectives » et ultimes. Je vais plutôt parler des effets qu’une telle perspective clivante a sur nous-mêmes et sur le monde qu’on habite.
Selon sa nature superstitieuse, un tel scientisme réductionniste nous laisse isolés, sans aucun vrai rapport avec notre propre monde, sans même aucune possibilité d’entrer en rapport, car tout ce que nous pouvons toucher ne sera jamais que nos projections.
Dans ce cas, le monde ne pourra jamais être vraiment plein de vie, plein de psyché, plein d’âme – et même si quelquefois il me semble l’être, cela n’est encore rien que mes projections. Jamais le monde ne pourra vraiment répondre à mon regard, être un vis-à-vis qui soulagerait mon isolement. Jamais je ne pourrai vraiment faire confiance au vécu comme indicateur d’une vérité et d’une beauté au-delà de moi-même, car tous phénomènes de perception ne seraient rien que les projections illusoires de l’idée qu’on se fait d’un cerveau.
Quand le monde est mort, tué par mon regard, par mes habitudes, par mes conditionnements, je me trouve enfermé dans la prison étroite de la personnalité-égo, confiné dans mon monde intérieur. Ainsi toute subjectivité devient la mienne littéralement, et toute expérience est saisie par l’égo.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Appeler Dieu, se laisser appeler par Dieu, chanter Dieu, se laisser chanter par Dieu, jouer Dieu, se laisser jouer par Dieu : tout cela devient donc impossible, selon la perspective de l’égo. L’égo ne sait pas comment rendre service, comment s’offrir à quelque chose de plus beau, de plus noble, de plus vrai, de plus vivant, que l’égo lui-même. Hors de ses expériences personnelles, rien n’a aucune réalité. L’égo gravite alors autour de la question : « Qu’est-ce que cet atelier, cette performance, cette expérience, ce chant – qu’est-ce que cela m’apporte à moi ? » Ainsi toute expérience reste confinée dans la petite boule de l’égo et de son obsession de développement personnel.
Maud parle parfois de la nécessité de sentir les effets de ces chants non ordinaires – récipients des forces agissantes de la vie. Et elle demande : est-ce que la façon dont on soutient et nourrit le chant (ou qu’on manque de le faire) nous fait du bien ou nous fait du mal ? Comment est-ce que je me sens après les avoir chantés ? Ici, l’intérêt dans mon expérience n’est pas une obsession égotique, mais le sens subjectif ici devient une sorte de sismographe, indiquant la qualité des actions : Qu’est-ce que c’est la qualité? Il faut en faire l’expérience, sinon on ne pourrait pas évaluer la qualité d’un chant, ni d’une action, ni de n’importe quelle chose. Il ne s’agit pas de critères extérieurs. Je me sens propre quand j’ai fini, et je suis contente.
Même l’idée de vraiment se faire du bien ou de vraiment se faire du mal au travers d’un chant – de la perspective de l’égo c’est inconcevable. Inconcevable aussi de vraiment, par le biais d’un chant, appeler quelque chose ou quelqu’un qui serait plus réel que l’égo.
Luigi Pirandello parle de cette même perturbation de notre sens du « réel » qui peut se passer à travers l’art quand il laisse ses six personnages se mettre en quête d’un auteur qui pourrait écrire la pièce de théâtre dans laquelle ils apparaissent. Pour convaincre le directeur de la nécessité de donner une forme artistique écrite à sa réalité de personnage, le personnage du père demande à ce metteur en scène de « sortir de ce jeu d’art théâtral », qui lui est coutumier, sur cette scène avec ses acteurs, et de « reconsidérer sérieusement la question : Qui êtes-vous? » Dans la question qui êtes-vous, le personnage du père s’adresse donc à la conscience du directeur. Et le directeur, irrité et troublé, se détourne du père et des revendications de cette autre réalité qui s’exprime à travers lui, et pour se rassurer sur sa propre réalité mondaine, sociale, et habituelle, le directeur, s’adressant alors à ses acteurs, dit : « Oh, mais voilà un fameux toupet : Quelqu’un qui se fait passer pour personnage de théâtre, qui vient me demander, à moi, qui je suis ! »
De la perspective de l’égo, l’exigence d’un autre plan de réalité, exprimé ici à travers ce personnage, semble être une prétention inacceptable. Et donc l’égo s’enfuit dans le reniement, et ridiculise l’autre réalité, afin d’exister lui-même.
Le personnage du père cependant ne se laisse pas ridiculiser de cette façon, mais insiste, avec toute sa dignité : « Un personnage, monsieur, peut toujours demander à un homme qui il est, parce qu’un personnage a vraiment une vie à lui – marquée de caractères qui lui sont propres et à cause desquels il est toujours « quelqu’un ». Alors qu’un homme – je ne parle pas de vous à présent – un homme pris comme ça, en général, peut n’être « personne ». Le directeur, qui n’est pas capable d’entendre ce raisonnement du personnage, ramène l’argument sur le plan de l’égo et de ses repères habituels. Il ne semble être obsédé que par son statut social. « Soit ! Mais vous me le demandez à moi qui suis le Directeur de ce théâtre ! le Chef de troupe ! Vous avez compris ?» Ainsi, il ne pourra jamais réfuter la vérité exprimé par le personnage du père.
Le personnage du père ne se laisse pas impressionner par ce discours du directeur, mais insiste sur ce fait : La pièce que les six personnages sont venus jouer est plus réelle et plus vraie que la situation du directeur isolé en son égo inconstant. « Il ne peut y avoir aucun doute sur ce fait. Je croyais que vous l’aviez compris dès le début, monsieur. » Le directeur ne peut toujours pas imaginer ce renversement de perspective. « Plus réel que moi-même ? », demande-t-il de nouveau.[4]
Ce dialogue entre un personnage soi-disant « imaginaire », donc sans pouvoir et sans importance dans le monde, et un homme, soi-disant « réel », donc puissant et important, reflète parfaitement la distorsion de la vision égotique : L’égo est incapable de voir l’Autre – le personnage, l’ange, le daïmon[5], l’Infini, la Vie, Dieu – comme réalité en soi.
Le personnage du père parle du « prodige » d’une réalité, qui naît, évoquée, attirée, et forgée par la scène elle-même, qui surgit, et a plus de droit de vivre ici que nous les acteurs, parce que cette réalité est beaucoup plus vraie que nous qui sommes encombrés d’un égo.[6] Entre ce regard informé par le prodige et la pseudo-réalité de l’égo, la « verosimiglianza »[7] comme le dit Pirandello, il existe un décalage total. Et c’est exactement là où l’acte de chanter peut nous emmener, à la lisière de ce décalage, et au-delà.
Bien entendu, la question ici n’est pas tellement de savoir si ce que l’on est en train d’appeler à travers les chants est vraiment, littéralement, réel ou pas. Ce n’est pas une question de croyance, de vouloir croire, de dogmatisme, et de bonne volonté. Il s’agit plutôt d’une question qui relève purement du vécu, une question d’expérience :
Qu’est-ce qui se passe avec le petit moi habituel si j’entre dans une réalité plus vaste, si je m’ouvre à une nouvelle perspective ?
Le psychologue analytique archétypal[8] James Hillman, élève principal de Carl Gustav Jung, remarque : « Le monde et les Dieux sont vivants ou morts en fonction des conditions de nos âmes. Une vision du monde qui perçoit un monde mort ou qui déclare que les Dieux ne sont que des projections symboliques provient d’un sujet percepteur qui a perdu son imagination du cœur. »[9]
Dès que cette réalité se manifeste – comme présence, nécessité autre que l’intérêt personnel – souvent on prend la fuite. L’égo se sent en danger, et cherche à s’échapper – et cela peut prendre des formes diverses : toutes sortes d’inertie, d’agitation, mais aussi de la bonne volonté... Au lieu de se sentir concerné par les nécessités vivantes des chants eux-mêmes, et de faire tout son possible pour y répondre, l’effort de la personne (qui peut être immense) reste donc paralysé dans la perspective de l’égo, par l’obsession du « développement personnel », du « comment je fais ».
Là, la question n’est pas si « j’ai envie » ou si « je n’ai pas envie », si « je fais bien » ou si « je fais mal ». Il ne s’agit pas de vouloir plaire à Maud, ou d’être quelqu’un dans les yeux des autres. La question n’est pas celle de cultiver un esprit de compétition scolaire, ou de suivre une « psychothérapie » – sauf si on rentre au sens originaire du terme « psychothérapie » qui est de servir la psyché, de servir l’âme, et non pas de la manipuler, de s’en servir.
Qu’est-ce qui se passe quand on inverse cette perspective qu’habituellement on prend pour du réel, et comment ce renversement se fait-il ?
On peut jouer sur des perspectives différentes. Au lieu de voir, comme d’habitude, le tout de nos expériences comme des « projections » mortes de l’égo, on pourrait, par exemple, jouer avec un renversement de perspective : ce n’est pas la Vie, Dieu qui est « notre projection », mais c’est nous qui sommes les projections de la Vie. Au lieu de voir les reflets de nos idées dans le monde, on peut jouer que c’est nous qui sommes les reflets des idées « objectives ». Cette perspective donne tout son poids, toute sa densité, aux Chants, à la Vie, à Dieu plutôt qu’au petit égo – et du même coup elle emmène le renoncement à se les approprier.
Le Chant-Appel surgit, et s’évanouit, il apparaît et disparaît, il se fait et se défait – il est entièrement libre, et en même temps d’une nécessité absolue. Dieu nous appelle. On appelle Dieu. On chante Dieu. Dieu nous chante. Dieu nous joue. On joue Dieu. Le Bouddhisme appelle ce Jeu l’expérience et la compréhension de la vacuité de toutes choses. Et c’est à travers ce Jeu que nos réalités se manifestent : Si on oublie le Jeu, on se trouve enfermé dans un monde plat, solide, sans saveur : un réel unidimensionnel, séparé de Dieu, sans aucune Vie. C’est pour cette raison que l’acte de jouer est si sérieux. Le jeu aide Dieu, nous aide, aide le monde, aide la Vie, à exister.[10] La Vie, nous-mêmes, et tout notre monde vécu, même Dieu – tout cela émerge de façon interdépendante du jeu.
Dieu nous fait. On fait Dieu. On rentre dans le Faire de Dieu. On ne peut pas autrement faire. Tout cela devient une vraie possibilité pour nous – une réalité qui nous appelle, qui nous parle, qui nous invite de plus en plus. Une réalité qui devient de plus en plus vivante, à travers nos actes. Si je me laisse toucher par cette nécessité au-delà de l’égo, telle qu’elle s’exprime dans les chants, je ne comprends presque pas comment est-il même possible que l’autre dans la même situation ne soit pas à son tour touché ; la réalité de l’appel du chant est tellement évidente. Dans cette optique, il s’agit de suivre un impératif. Ce qui importe, c’est la Vie palpable et concrète des chants. Ils viennent de tellement loin qu’on ne sait ni comment ni pourquoi ils nous touchent, nous traversent. Ils nous transforment, changent les perceptions de tout notre monde vécu.
En même temps les chants n’ont pas de pouvoir isolé, ils ne sont pas des idoles détachées. La vraie question c’est comment les traiter, les approcher, les accueillir, les respecter, les incorporer, comment devenir le lieu de leur incarnation. Il y a tout un processus d’élaboration d’instruments – tout un long processus de perfectionnement de l’outil que sont ces chants, et de nous-mêmes leur véhicule. C’est dans la rencontre des deux, les chants et nous-mêmes, que la magie de la transformation se joue. Sans cela, il n’y a pas de fécondation, il n’y a pas de Vie.
Eva Kreikenbaum
[1] Cf. l’œuvre de Hermann Schmitz.
[2] Alphonse de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, Livre III, Harmonie II, cf. https://sites.google.com/site/texteschoisis/home/alphonse-de-lamartine
[3] Pour tout le passage suivant, cf. James Hillman, The Thought of the Heart and the Soul of the World, Putnam 2014, p. 68.
[4] Dialogue avec Maud Robart, 05.09.2017. Et aussi cf. Henri Corbin, Alone with the Alone. Creative Mysticism in the Sufism of Ibn’Arabi, New Jersey 1969/ 97 [titre originel: L’Imagination creatrice dans le Soufisme d’Ibn’Arabi, 1958]. « [95] He who knows himself knows his Lord. Knowing one’s self, to know one’s God; knowing one’s Lord, to know one’s self. This Lord is not the impersonal self, nor is it the God of dogmatic definitions, self-subsisting without relation to me, without being experienced by me. He is the he who knows himself through myself, that is, in the knowledge that I have of him, because it is the knowldge that he has of me; it is alone with him alone, in this syzygic unity, that it is possible ot say Thou. [248] For prayer is not a request of something: it is the expression of a mode of being, a means of existing and of causing to exist, that is, a means of causing the God who reveals Himself to appear, of „seeing“ Him, ot to be sure in His essence, but in the form which precisely He reveals by revealing Himself by and to that form. […] We do not pray to the Divine essence in its hiddenness; each faithful prays to his Lord, the Lord who is in the form of his faith. »
[5] Pirandello, Six personnages en quête d’auteur. Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » [p. 36] : « LE PÈRE, dominant ces protestations. – Permettez, permettez ! Pourquoi voulez-vous gâcher, au nom d’une vérité vulgaire, factuelle, ce prodige d’une réalité qui naît, évoquée, attirée, façonnée par son décor même, et qui a plus le droit de vivre ici que vous autres, parce que beaucoup plus vraie que vous autres ? »
Cf. Version française de Benjamin Crémeux [p. 46] « LE PÈRE, dominant les protestations. — Permettez, permettez ! Pourquoi voulez-vous tuer, au nom d'une vérité vulgaire, ce prodige d'une réalité qui naît, évoquée, attirée, formée par son sujet même et qui a plus de droit à vivre sur cette scène que vous tous... Car elle est plus vivante que vous tous ! »
[6] « La vita, per tutte le sfacciate assurdità, piccole e grandi, di cui beatamente è piena, ha l’inestimabile privilegio di poter fare a meno di quella stupidissima verosimiglianza, a cui l’arte crede suo dovere obbedire. Le assurdità della vita non hanno bisogno di parer verosimili, perché sono vere. All’opposto di quelle dell’arte che, per parer vere, hanno bisogno d’esser verosimili. E allora, verosimili, non sono più assurdità. Un caso della vita può essere assurdo; un’opera d’arte, se è opera d’arte, no » […]. (Luigi Pirandello, « Avvertenza agli scrupoli della fantasia», postfazione a « Il fu Mattia Pascal », 1921 - Luigi Pirandello, « Avertissement aux scrupules de la fantaisie», postface à « Il fu Mattia Pascal », 1921).
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/James_Hillman#Ouvrages
[8] James Hillman, Re-Visioning Psychology, New York 1975/92, p. 16. «The world and the Gods are dead or alive according to the condition of our souls. A world view that perceives a dead world or declares the Gods to be symbolic projections derives from a perceiving subject […] who has lost his imagine del cuor.»
[9] Luigi Pirandello, Six personnages en quête d’auteur. Édition du groupe «Ebooks libres et gratuits» [p. 52 f.]:
https://www.ebooksgratuits.com/pdf/pirandello_six_personnages.pdf
Cf. Version française de Benjamin Crémeux. Gallimard Paris 1923/ 141950. [p. 62-65]: http://sources.ebooksgratuits.com/pirandello_theatre_1_ocr.pdf
Cf. « extrait pirandello.doc »
[10] Cf. James Hillman, Healing Fiction, Putnam 1983, pp. 55-56 [titre français: La fiction qui soigne, Paris 2005]: « Just to remind us what a radical, shattering move – theological, epistemological, ontological – Jung’s personifying was, let me merely pronounce the usual judgement upon daimons that is part of our Western religious psychology. Whether Eastern Church or Roman, whether Old Testament or New, whether Protestant or Catholic – daimons are no good things. They are part of the world of satan, of chaos, of temptation. They have been written against by major Christian theologians down through the centuries, associated with the cult of serpent worship in the midst of Christian Europe, and they are, according to the authority of St Matthew’s Gospel the source of possession, sickness, and magic. Who indeed are those figures that they should be so menacing? If we look into the world before and parallel with the rise of Christianity – first to Homer, then to Plato and the dramatists, then to Plutarch, Plotinus, Iamblichus, and then to the Renaissance – the daimones were figures of the middle realm, neither quite transcendent Gods nor quite physical humans, and there were many sorts of them, beneficial, terrifying, message-bringer, mediators, voices of guidance and caution (as Socrates’ Daimon and as Diotima). Even Eros was a daimon. [56] But the dogmatic crystallization of our religious culture demonized the daimons. As a fundamental component of polytheistic paganism, they had to be negated and denied by Christian theology which projected its repression upon the daimons, calling them the forces of denial and negation. Thus Jung’s move which turned directly to the images and figures of the middle realm was a heretical, demonic move. His move into imagination, which had been prejudged in our religious language as demonic and in our clinical language as multiple personality or as schizophrenia. Yet, this radical activation of imagination was Jung’s method of Know Thyself. »
Cf. James Hillman, Re-Visioning Psychology, New York 1975/92 [titre ne pas traduit en français], p. 175: « Our distinction between psyche and human has several important consequences. If we conceive each human being to be defined individually and differently by the soul, and we admit that the soul exists independently of human beings, then our essentially differing human individuality is really not human at all, but more the gift of an inhuman daimon who demands human service. It is not my individuation, but the daimon’s; not my faith that matters to the Gods, but how I care for the psychic persons entrusted to my stewardship during my life. It is not life that matters, but soul and how life is used to care for soul. »